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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Gatsby le Magnifique, de Francis Scott Fitzgerald

Publié le 12 Mai 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2024, 

New York, début des années vingt. Au lendemain de la Grande Guerre, l’économie, l’industrie et la construction ont rapidement retrouvé des couleurs. On s’enrichit et on dépense. On cherche aussi à s’amuser, à s’étourdir dans la fête, on se précipite dans des bars privés ou dans des soirées où la musique de jazz bat son plein, où les boissons alcoolisées coulent à flots… malgré la Prohibition, une loi qui permet aux trafiquants de faire fortune encore plus vite que les autres. Ce sont les roaring twenties, l’équivalent de ce qu’en France on appelle les années folles.

Cette société qu’on qualifierait aujourd’hui de déjantée et de décadente sert de toile de fond en 1924 au jeune Francis Scott Fitzgerald, pour écrire Gatsby le Magnifique, son roman le plus célèbre. Comme d’autres écrivains américains de ce qu’on nommera la « génération perdue », Fitzgerald s’en ira, en compagnie de son épouse Zelda, brûler sa vie par les deux bouts en France, entre Paris et la Côte d’Azur.

Je n’avais jamais lu Gatsby, un roman iconique qui inspira plusieurs films à grand spectacle, avec dans le rôle-titre des stars comme Robert Redford et Leonardo de Caprio. Des films surtout primés pour leurs décors et leurs costumes, ce qui explique peut-être pourquoi, lors de leurs diffusions à la télé, je ne les avais jamais regardés jusqu’au bout.

En le lisant, j’ai découvert que l’ouvrage ne se résume pas à une peinture extatique ou satirique d’un microcosme mondain des roaring twenties. Il s’y développe aussi une intrigue amoureuse. Indécelable au départ, elle prend corps peu à peu, semblant presque anodine, avant que les circonstances, les obsessions d’un protagoniste et le machiavélisme d’un autre ne la transforment en véritable drame.

Tout commence à Long Island, la station balnéaire huppée de New York, dans les soirées grandioses données en son château par un certain Gatsby, un mystérieux jeune homme de belle allure, dont personne ne connaît les origines ni celles de sa fortune. On s’y presse, on s’y amuse, on y rencontre des notables, des vedettes. Il est d’ailleurs de bon ton d’être là, de se montrer, de jouer les habitués. D’un côté du miroir, les profiteurs, les voyeurs, ceux qui voudraient s’assimiler à leur hôte magnifique, compter sur son appui, tout en expurgeant leur jalousie et leurs rancœurs par des ragots proférés derrière son dos.

Mais de l’autre côté du miroir, quelles sont les vraies motivations de cet homme qui dilapide sa fortune en recevant aussi fastueusement son monde ? Est-ce pour que sa magnificence soit prise pour de la munificence ? Est-ce pour séduire quelqu’un ? A-t-il une idée derrière la tête ?

L’auteur s’est glissé dans la peau du narrateur, Nick Carraway, un jeune financier débutant dont la modeste demeure jouxte celle de Gatsby. D’abord spectateur étonné s’abstenant de tout jugement rapide, Nick sera amené malgré lui à jouer un rôle actif dans l’intrigue amoureuse et à assumer une responsabilité indirecte dans son dénouement tragique. Un dénouement dans lequel il soulignera avec amertume l’ingratitude oublieuse des foules et l’insouciance arrogante des plus privilégiés.

Ses observations morales et sociologiques reflètent l’état d’esprit ambigu de Fitzgerald, impressionné par le luxe et l’opulence, accro aux festivités extravagantes et bien arrosées, tout en dissimulant derrière du mépris le regret de ne pas disposer de l’aisance que procure la gloire ou la fortune. Un mal-être caractéristique d’une génération d’artistes, qui ont cherché désespérément à donner un sens à leur destin dans les années troubles de l’entre-deux-guerres.

Carraway / Fitzgerald ne manque pas de souligner que les protagonistes sont tous originaires du Middle West et qu’ils éprouvent inconsciemment une sorte de fascination pour New York, nouveau symbole du rêve américain. Une autre forme du complexe du « provincial », tel que Balzac le décrivait largement quelques décennies plus tôt.

Flamboyant et sophistiqué, le texte français, que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, témoigne du talent singulier et très maîtrisé de l’auteur américain, un grand écrivain. L’humour de son ton, subtil et présent de la première à la dernière ligne, reflète encore son affectation un peu condescendante à l’égard de personnages dont l’aisance le subjugue.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Le docteur Jivago, de Boris Pasternak

Publié le 12 Mai 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2024, 

On n’y rencontre pas que des autocrates belliqueux en quête de lebensraum ! La Russie a aussi nourri de très grands écrivains, parmi lesquels Boris Pasternak. Né en 1890 dans une famille juive d’artistes aisés, le jeune Pasternak avait accueilli avec sympathie les premiers mouvements insurrectionnels de 1905 et de 1917. Il lui avait bien fallu ensuite s’accommoder des atrocités du bolchevisme et des désagréments du régime soviétique. Réputé pour ses recueils de poèmes et gagnant sa vie en tant que traducteur, Pasternak était tombé en disgrâce dans les années trente, les autorités jugeant son style trop subjectif et lyrique, à l’opposé du réalisme socialiste recommandé.

Refusé dans son pays, son roman Le docteur Jivago est publié en Italie en 1957 et lui vaut le prix Nobel l’année suivante. Une récompense que l’écrivain décline sous la pression du pouvoir soviétique, qui l’accuse de bénéficier de soutiens occidentaux – un mode d’incrimination qui persiste dans la Russie d’aujourd’hui. Le docteur Jivago ne paraîtra en URSS qu’à la fin des années 80.

L’ouvrage aura entre-temps bénéficié d’une renommée mondiale grâce au film hollywoodien de David Lean, sorti en 1965, l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma. Un film que j’ai vu adolescent, revu deux ou trois fois à la télé avec plaisir en dépit de sa longueur, et où m’avaient ébloui la présence charismatique d’Omar Sharif et la beauté fascinante de Julie Christie. Leur histoire d’amour écourtée est le point d’orgue du film.

En lisant Le docteur Jivago pour la première fois, impossible de ne pas voir leurs visages derrière les noms de Iouri et de Lara, même si leur romance n’est que l’une des composantes du livre. Tel une vaste saga, le roman relate la vie – et la mort – de nombreux personnages, qui se croisent et se recroisent sur la terre russe entre le début du vingtième siècle et la seconde Guerre mondiale. Plus largement encore, il se lit comme une passionnante chronique historique et sociologique des transformations qu’a subi le pays tout au long de cette période.

En contrepoint des violences et des souffrances racontées, l’ouvrage est aussi un dictionnaire amoureux des paysages multiples et éternels de l’immense Russie, parcourue en toutes saisons par d’innombrables trains, bondés ou blindés, reliant Moscou à la Sibérie, en passant par l’Oural.

Romanesques et lyriques, les narrations sont émaillées de commentaires portant sur les événements, sur l’évolution des mentalités de la population, sur les attitudes à adopter face à des bouleversements qui nous submergent et contre lesquels nous sommes impuissants. « Un homme adulte se doit de serrer les dents et de partager le sort du pays où il est né », déclare Jivago. Issu d’un milieu bourgeois aisé, il était favorable aux réformes et subissait sans broncher des privations cruelles, tout en désapprouvant les dérives radicales.

Appelé comme médecin dans l’armée impériale, puis réquisitionné dans des unités révolutionnaires, il soulage et soigne, sans prendre parti, les blessés et les malades ayant besoin de lui. J’ai pensé au docteur Rieux, dans La peste, qui fait son devoir sans poser de questions parce qu’on ne peut pas expliquer l’absurde… La barbarie non plus ne se discute pas. Converti au catholicisme orthodoxe, Pasternak va au-delà de l’humanisme de Camus. Il prête un rôle christique à Jivago, qui place l’amour de l’autre au-dessus de tout et dont les infortunes auraient un sens sacrificiel.

Les sept cents pages du roman sont très longues à lire. Le narrateur cède souvent la parole à ses personnages, pour des monologues verbeux intégrant des codes de langage spécifiques, qu’il a dû être malaisé de traduire en français. L’ouvrage se présente en courts chapitres, ce qui aère la lecture, mais les pluralités de temps, de lieu et d’action sont telles qu’il est parfois difficile de s’y retrouver, d’autant plus que, comme dans tout roman russe, on se perd dans les noms de villes, ainsi que dans les prénoms, surnoms, patronymes, noms de famille et noms de femmes mariées des innombrables personnages.

L’ouvrage, d’une richesse infinie, mériterait plusieurs lectures et bien des débats. Il s’achève sur un cycle de poèmes. Ecrits de nuit, tandis que Lara dort, avant le départ, ils font office de testament pour le médecin poète Jivago et pour son créateur, l’écrivain poète Pasternak.

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les alchimies, de Sarah Chiche

Publié le 16 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Le crâne disparu du célèbre peintre espagnol Goya fait depuis longtemps couler beaucoup d’encre… et de sueur. Il constitue un mythe mystérieux comparable à la légende médiévale du Graal. Celles et ceux qui se consacrent activement à sa quête n’aspirent pas à l’Immortalité ni à la Connaissance absolue. Ils veulent juste savoir à quoi ressemble le cerveau d’un génie.

De ce mystère, Sandra Chiche a fait la clé de voute d’un roman, Les alchimies. Son personnage central, Camille Cambon, est une femme de quarante-huit ans, médecin légiste de profession.

Le livre s’articule en deux parties. La première permet de faire connaissance avec Camille, qui raconte sa vie de femme divorcée. Elle expose la philosophie et les enjeux de son métier, qu’elle exerce dans l’institut médico-légal d’un hôpital important, un métier qui la relie spirituellement à son père, qui avait été lui-même médecin légiste. Ce père, Pierre, disparu accidentellement en compagnie de Léa, son épouse, mère de Camille, avait été l’auteur d’un livre sur Francisco Goya. Il en avait abondamment disséqué l’œuvre et la vie (ainsi que la mort) devant sa fille. Le sujet passionnait aussi Alexandre, le parrain de Camille, un grand neurologue, ami d’enfance de Pierre…

De quoi se demander où la narratrice veut en venir ! Mais tout se connecte logiquement, et puisqu’on est dans un système en plug and play, elle reçoit un mail mystérieux qui l’intrigue, car il y est question de… Goya, de ses parents et de son parrain…

A l’origine du mail, une dame très âgée, Jeanne, qui se présente comme une ancienne amie très proche d’Alexandre, de Pierre et de Léa, un brelan de surdoués, fascinés par la recherche neurologique et par le contenu des cerveaux… vivants ou morts. Ils s’interrogeaient. Quelles sont les alchimies subtiles qui font le cerveau d’un être d’exception ? Alexandre se demandait aussi quelles transmutations, quelles reconnexions cérébrales avaient pu un jour amener un peintre hors norme comme Goya à modifier le sens de son œuvre ? Et Pierre aurait bien voulu savoir si le cerveau de Goya mort avait conservé des traces de son génie.

Alexandre, Pierre et Léa. C’est leur vie qu’évoque Jeanne devant Camille tout au long de la seconde partie du livre. Elle lui raconte leur jeunesse, leurs rencontres, ainsi qu’un événement dramatique négligemment oblitéré. Tout ce qui permettrait, selon Jeanne, — et on se demande avec Camille de quoi elle se mêle — de libérer cette dernière de l’emprise mentale exercée par la mémoire de parents et d’un parrain à la personnalité écrasante.

Un thème qui semble récurrent chez Sarah Chiche, psychanalyste et romancière. Ses personnages principaux sont souvent des femmes englouties dans les appétences insatiables de leurs parents. Dans un tableau célèbre de Goya, Saturne dévore ses enfants, une façon de garder le contrôle.

L’autrice a adossé un bel exercice d’imagination à un gros travail de documentation. Mais à partir de quand l’imagination tourne-t-elle au délire ou au canular ? Dans une enquête de ce genre, la dispersion est inévitable, la vérité est introuvable. Ecrivains et chercheurs ne font que rebattre les cartes. Et toi, lectrice, lecteur, tu peux te dire « tout ça pour ça ! », ou bien te laisser prendre au caractère addictif de la quête et partir à ton tour à la recherche du crâne de Goya.

Malgré un zeste d’humour – noir, bien sûr – tout reste finalement mystérieux, opaque, comme si l’ouvrage était destiné à une élite d’initiés. Un sentiment renforcé par la phraséologie adoptée : une syntaxe savante mais lourde, un peu empathique, avec un usage répété de longues énumérations ; des effets de style particulièrement surprenants dans la narration orale de Jeanne.

J’ai quand même appris beaucoup de choses très intéressantes sur Goya, sa vie, son œuvre, son crâne. J’ai souvent dit qu’un roman divertissant pouvait être plus instructif qu’une monographie austère.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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J'ai péché, péché dans le plaisir, d'Abnousse Shalmani

Publié le 16 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

On la voit et on l’entend de plus en plus dans les médias, où elle défend avec charme et virtuosité des convictions libérales et libertaires bien senties. Avant l’installation de sa famille en France, Abnousse Shalmani avait passé une partie de son enfance en République Islamique d’Iran. Elle sait donc ce que sont l’obscurantisme, la dictature et l’oppression des femmes.

Chroniqueuse, réalisatrice, journaliste, elle est aussi écrivain. Après quelques ouvrages inspirés de son expérience personnelle, elle vient de publier un roman historique au contenu littéraire riche, à la forme originale et au titre inattendu : J’ai péché, péché dans le plaisir.

Le livre raconte les vies de deux femmes poètes aujourd’hui oubliées, deux femmes qui décidèrent de donner libre cours à leurs talents, à leurs désirs et à leurs amours.

Dans les beaux quartiers parisiens, à la toute fin du XIXe siècle, Marie, fille du poète José-Maria de Heredia, épouse le poète Henri de Régnier. Elle prend comme amant un autre poète, Pierre Louÿs, un dandy alors renommé pour ses nombreuses conquêtes féminines et pour sa plume élégamment érotique. Marie écrira elle-même des poèmes et des romans, dans lesquels elle ne s’interdira aucune transgression. Ils lui vaudront plusieurs prix de l’Académie française.

Soixante ans après Marie, à Téhéran, Forough Farrokhzad épouse à l’âge de seize ans l’homme qu’elle s’est choisi. Il la méprise parce qu’elle l’aime et parce qu’elle ressent du désir pour lui : impensable pour une femme ! Forough divorce rapidement et écrit ses premiers recueils de poèmes. Ses vers expriment ses fantasmes féminins et des aspirations féministes. Ils font scandale dans son entourage bourgeois, corseté par des inhibitions civiles et religieuses.

Pour relater les parcours de Marie et de Forough, Abnousse Shalmani s’est affranchie des stéréotypes de la narration historique. Elle a construit un roman autour d’un personnage fictif contemporain de Forough, un jeune Iranien francophone, poète et historien de la poésie. Prénommé Cyrus (un hommage en passant au fondateur de l’Empire perse), le jeune homme avait traduit en persan les œuvres de Marie de Régnier et de Pierre Louÿs. Quand il rencontre Forough, il tombe raide dingue, lui dévoile ce qu’il sait de Marie et de Pierre. La poète iranienne est troublée et séduite. Pendant des années, entre deux étreintes — secrètes et non exclusives —, Forough écoutera Cyrus lui lire les vers et lui raconter la vie libertine de la poète française.

Un conte des mille et une nuits à l’envers. Un homme qui récite, une femme orientale qui découvre la tolérance de la société parisienne à la Belle Epoque. Quel décalage avec l’Iran du Shah, dévot, puritain, conformiste, misogyne, où l’impénitente pécheresse autoproclamée Forough ne trouve ni sa place ni la paix ! Il y eut pourtant une poésie persane classique, laquelle ne se privait pas, il y a des siècles, d’exalter sans fausse pudeur, sans crainte du péché, la beauté des corps et le lyrisme de l’amour. Celle qui en hérite naturellement, c’est la Française. Marie, le péché, connaît pas !

La lecture de J’ai péché, j’ai péché dans le plaisir m’a captivé. Agrémentée d’anecdotes solidement documentées, la biographie de chacune de ces deux femmes procure un éclairage historique et littéraire large et passionnant.

Les deux cents pages du livre sont denses, leur contenu est érudit, mais la lecture est fluide, par moment jubilatoire. La prose est simple, vive, primesautière. L’auteure conjugue habilement les temps et les modes, ce qui imprime du rythme à la narration. Elle n’hésite pas à placer ici ou là un terme cru qui ne choque pas, parce qu’il vient avec pertinence.

Le texte est émaillé de jolies strophes écrites par Forough, par Marie, par Pierre, un brelan de poètes disparus des mémoires, dont je n’avais jamais rien lu. Leurs vers chantent le luxe, le calme et la volupté. Baudelaire n’est jamais loin des grands écrivains.

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Le fils du père, de Victor del Arbol

Publié le 1 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Si je me réfère à ceux que j’ai lus, les romans de l’écrivain espagnol Victor del Arbol sont peuplés de personnages sombres, rongés par la mémoire tragique de l’histoire nationale, hantés par les séquelles de drames familiaux, luttant sans espoir contre un mal-être personnel. C’était le cas dans Par-delà la pluie et surtout dans Toutes les vagues de l’océan, un thriller formidable et complexe dont je garde un souvenir ébloui.

Dans les premières pages de Le fils du père, on apprend qu’un homme vient d’en tuer un autre, après l’avoir torturé. Comment cet homme, nommé Diego Martin, un professeur d’université bien établi à Barcelone, en est-il arrivé à commettre un tel crime ? Pour répondre, l’auteur embarque le lecteur dans la généalogie du meurtrier.

D’extraction misérable, originaire de la province d’Estramadure, la famille avait longtemps servi dans la domesticité d’une vaste demeure, la Grande Maison, appartenant autrefois à d’importants propriétaires régionaux. Une condition de soumission humiliante, qui avait pris fin de façon sanglante, lorsque la guerre civile avait porté à leur paroxysme les haines mutuelles de classes.

Frustes, sans formation, portés par des rancœurs inextinguibles, le grand-père et le père de Diego ont été ballottés dans les équipées militaires de leur époque. Elles ont asséché leurs dernières onces d’humanité et de moralité. Deux mauvais garçons, deux brutes, tueurs à l’occasion, guettant des expédients pour survivre. Ils n’ont cessé de justifier des attitudes ineptes par leur « manque de chance », par la « nécessité de s’en sortir », les excuses classiques des losers qui saisissent les opportunités d’apparence facile, sans réfléchir aux conséquences.

Ces deux hommes, père et fils, se sont mutuellement méprisés et ont trouvé normal de brutaliser leurs femmes. Maltraitées, celles-ci se sont mises au diapason et se sont comportées en mères indignes. Quand ils n’ont pas détesté leurs enfants ou petits-enfants, ces hommes et leurs femmes les ont simplement ignorés.

A l’actif toutefois du père de Diego, le rachat de la Grande Maison en ruine, grâce à un billet de loterie gagnant. Une revanche sociale qui ne rapproche pas Diego de son père — dont on ne connaîtra d’ailleurs le prénom qu’à la dernière ligne du roman ; un artifice littéraire qui n’apporte rien !

Dans ce contexte d’abandon familial, Diego a failli mal tourner. Il s’est pris en charge, a suivi des études, est devenu écrivain, professeur d’université. Il a épousé une femme belle, brillante et riche, qui l’admire. Il s’occupe avec dévouement d’une sœur à laquelle il est très attaché : Liria, une femme au mental fragile, en perdition sociale et physique. Désormais aphasique, elle est hospitalisée sans espoir de sortie.

A l’instar de son père et de son grand-père, Diego ne pourra s’empêcher de saper ses propres fondations. L’auteur l’a fait naître sous le signe du scorpion, ascendant scorpion. Je ne suis pas féru d’astrologie et je n’y connais rien, mais j’ai toujours entendu dire que l’autodestruction était la malédiction incontournable de ce signe.

Comme son père et son grand-père encore, Diego en est arrivé à tuer un homme : l’infirmier en charge de Liria. Peut-être, lectrice, lecteur, te demandes-tu pourquoi ? Eh bien, pour le savoir, tu devras lire Le fils du père ! Mais je te préviens ; la lecture de ce long roman très noir est difficile et quelque peu démoralisante. Un livre qu’on pourrait qualifier de feel bad.

La construction est habile, mais complexe. Les cinquante premières pages sont hermétiques et il m’a fallu refeuilleter les premiers chapitres pour avoir une idée à peu près claire de l’identité des personnages, pour appréhender une chronologie s’étendant sur près de quatre-vingts ans, et pour comprendre pourquoi des événements se passent dans l’agglomération de Barcelone, alors que tout a commencé au sud-ouest de l’Espagne.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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D'or et de jungle, de Jean-Christophe Rufin

Publié le 1 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Ses multiples et brillantes carrières inspirent le respect. Docteur en neurologie, diplômé de l’Institut d’études politiques, Jean-Christophe Rufin exerce comme médecin aux Hôpitaux de Paris et s’investit dans des ONG humanitaires qui le conduisent un peu partout dans le monde. Des expériences qui l’amènent à la diplomatie, jusqu’au poste d’ambassadeur de France. Il construit en même temps une œuvre littéraire abondante, comptant plusieurs romans, dont l’un lui vaut de recevoir le prix Goncourt (Rouge Brésil, 2001).

Son dernier roman, D’or et de plomb, relate la genèse, la préparation et la mise en œuvre d’un coup d’Etat, organisé de nos jours par une agence de mercenaires, pour le compte de multinationales de la Tech en quête d’une souveraineté. L’opération est mûrement élaborée. Sans tirer un coup de feu, en usant de simples manipulations et de fake news, elle consistera à ébranler les institutions d’un petit Etat. L’intention est de déclencher une réaction en chaîne jusqu’à l’effondrement du pouvoir en place, afin d’y substituer un autre, ouvert à la création d’une nouvelle Silicon Valley « libérée ».

J’ai été captivé par toutes les étapes de la machination, dès le deal de départ entre l’aventurier et le milliardaire. La constitution de l’équipe — théoricien, stratège, séductrice, hackers, baroudeurs… — est présentée avec finesse et humour. La tension monte lentement, car l’auteur développe ses intrigues en prenant son temps, n’omettant aucun détail, profitant des moments d’attente pour raconter des scènes plaisantes et servir de jolies descriptions de l’environnement naturel.

L’Etat choisi comme cible est le sultanat du Brunei, un tout petit pays enclavé dans la partie malaise de l’île de Bornéo. De la forêt vierge émergent les coupoles dorées de la grande mosquée et celles de l’immense palais présidentiel. Le sultan, qui a longtemps prétendu être l’homme le plus riche du monde, est à la tête d’un régime dont l’auteur, bien documenté, révèle la brutalité, l’obscurantisme, les turpitudes et les failles. Résistera-t-il ?

L’aventure fictive racontée par Jean-Christophe Rufin est d’autant plus savoureuse — et inquiétante — qu’elle est très réaliste. Elle pourrait vraiment survenir demain.

Les commanditaires sont crédibles. L’auteur s’inspire ouvertement de velléités affichées dans l’univers des GAFAM. A leurs têtes, des hommes propulsés en quelques années du statut d’adolescents bricoleurs de génie à celui de multimilliardaires, patrons d’entreprises aux moyens quasi illimités. Ces ascensions fulgurantes les ouvrent à toutes sortes d’aspirations cosmiques ou métahumaines, aussi délirantes soient-elles. Des ambitions aujourd’hui bridées par les cadres juridiques, fiscaux et éthiques des Etats. La souveraineté sur un territoire les débarrasserait de ces entraves.

Pour l’officine assumant la maîtrise d’œuvre du projet, l’auteur s’est inspiré des agences privées de renseignement et des groupes paramilitaires indépendants dépourvus de scrupules et de sens des responsabilités, qui parcourent le monde à la recherche d’opportunités.

Un roman passionnant, facile à lire et en même temps instructif. Il suffit d’en transposer les éléments d’intrigues sur des événements historiques ou actuels, pour percevoir la fragilité de nos institutions démocratiques. Méfions-nous des manipulations orchestrées par des personnes mal intentionnées.

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Le sang des innocents, de S.A. Cosby

Publié le 11 Mars 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2024 

S.A. Cosby avait quarante-cinq ans lorsque sa première nouvelle a été publiée, puis primée, en 2018. Depuis, les romans s’enchaînent avec succès et il a pu abandonner son job alimentaire dans le funérarium de son épouse. Enfant, Cosby avait connu la misère, la vraie, dans la vieille caravane où il avait vécu avec son frère et ses parents.

S.A. Cosby est issu du Sud profond américain, un territoire où des Noirs sont, comme lui, à jamais hantés par les conditions d’esclavage imposées à leurs ancêtres, tandis que certains Blancs continuent à dénier la défaite des Confédérés dans la guerre de Sécession et restent nostalgiques d’une époque qu’ils glorifient, ne serait-ce que pour affirmer leur suprémacisme ou pour provoquer les militants progressistes, partisans des droits civiques. Le Sud profond est marqué par des décennies de crimes et de vengeances atroces. Son sol est imbibé du sang d’innocents et des larmes qui l’accompagnent. Aujourd’hui encore, la violence peut exploser au moindre incident.

Cette violence latente est présente dès les premières pages du roman. Titus Crown est le premier Noir à être élu shérif du comté de Charon, en Virginie. Après douze ans de service au FBI, il est revenu sur sa terre natale avec l’intention de faire respecter les droits démocratiques de chacun, sans concessions. Il est inévitablement considéré comme illégitime par la frange la plus extrémiste de la population blanche. En même temps, il inspire une sorte de méfiance aux Noirs et aux progressistes, qui craignent qu’il ne finisse par s’incliner devant les arguments des puissants.

Le roman commence par une alerte malheureusement récurrente outre-Atlantique, une fusillade dans un lycée. Un adolescent noir a ouvert le feu et tué un professeur blanc estimé de tous. Le meurtrier est abattu quelques minutes plus tard par deux adjoints blancs du shérif. Ce dernier les suspend immédiatement, conformément aux procédures… Les conditions sont en place pour que chaque communauté s’en vienne à tour de rôle au bureau du shérif crier à l’injustice.

L’affaire va s’avérer plus complexe et plus sordide, qu’elle n’en a l’air. Les premiers éléments de l’enquête vont révéler au shérif Crown des pratiques monstrueuses de tortures et d’assassinats d’enfants noirs, puis l’existence d’un serial killer, ordonnateur de ces pratiques : un criminel psychopathe et mystique.

Mystique, le tueur n’est pas le seul à l’être, sur le territoire de Charon. Noir ou Blanc, chacun semble avoir été nourri d’enseignements bibliques et les avoir revisités à la sauce des prédications émises dans l’église évangélique qu’il fréquente. Certains se livrent même à leur propre interprétation et ce n’est jamais sans risque. D’autres ont pris du recul et fait la part des choses, comme le shérif Titus Crown himself. Cela ne supprime pas les sentiments de culpabilité diffuse, qui amènent chacun à chercher sa rédemption où il le peut.

Le sang des innocents est un thriller assez classique dans sa construction et dans ses péripéties, tant pour les éclaboussures d’hémoglobine, qui n’impressionnent plus personne, que pour les rebondissements, qui ne m’ont pas surpris. Les quatre cents pages du livre forment un tout cohérent et bien rythmé, qui se lit sans déplaisir, même si l’on n’est pas un amateur idolâtre de ce genre de littérature. La scène finale est, comme il se doit, ultraviolente et sanglante. Les pages qui la suivent et qui clôturent le roman font redescendre en douceur la tension.

L’élément attachant de l'ouvrage est son personnage principal, le shérif Titus Crown. Droit dans ses bottes, confiant en ses valeurs, en ses méthodes et en sa détermination, Titus n’en a pas moins ses failles et un secret qui l’honorent, l’humanisent, mais le fragilisent. En le créant, l’auteur a certainement projeté ses propres espérances d’Afro-Américain du Sud.

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La Sentence, de Louise Erdrich

Publié le 11 Mars 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2024,

De Louise Erdrich, j’avais lu il y a deux ans Celui qui veille, roman qui avait obtenu le Pulitzer de la fiction. Personnellement, j’avais trouvé le livre un peu ennuyeux. Avec La Sentence, auréolé à l’automne dernier du Femina étranger, ne risquais-je pas de me retrouver dans la même situation ?

Louise Erdrich est une écrivaine atypique. D’origine amérindienne, elle puise son inspiration dans la vie, l’histoire et les cultures des peuples autochtones, auxquelles elle est indissolublement liée. Les fictions qu’elle imagine se déroulent précisément là où s’étendaient jadis les territoires des tribus sioux. Elle confronte ses principaux personnages à l’actualité et à l’histoire des Etats-Unis, dans des épisodes qui les concernent plus ou moins spécifiquement.  

Ces personnages portent en eux les traces d’une civilisation disparue, ainsi que les stigmates des drames de leurs ancêtres, massacrés ou chassés de leurs terres lors de la conquête de l’Ouest. Des fantômes qui les aident à supporter ou à expliquer des difficultés au quotidien. N’en étant pas moins citoyens américains, ils assument de surcroît une sorte de culpabilité collective plus ou moins consciente pour des failles personnelles dues à des situations sociales précaires : vols, violence, alcoolisme, drogue, prostitution, mensonges en tout genre.

Tout cela ressort de la narration de Tookie, personnage principal de La Sentence. A quarante ans, elle a bénéficié d’une remise de peine après dix ans de prison, à la suite d’une condamnation à soixante ans pour avoir participé, à l’insu de son plein gré, à des faits délictueux. Une sentence absurde pour une conduite absurde : gag cocasse ou outrance dialectique ? Tookie évoque aussi son enfance tragique, sa toxicomanie compulsive. Ses dix ans d’emprisonnement semblent ne mériter que quelques pages.

L’histoire qu’elle raconte commence lors de son retour à la vie civile. Elle a décidé de s’acheter une conduite. Elle épouse Pollux, le flic (tribal) qui l’avait arrêtée dix ans plus tôt — encore un gag ? — et qui, depuis, était devenu entrepreneur et commerçant.

En prison, Tookie avait découvert le pouvoir des mots, des phrases — sentence in english — et des livres. Sa capacité à les lire, à les comprendre et à les assimiler lui vaut d’être embauchée dans une petite librairie de Minneapolis, dont la propriétaire n’est autre que Louise Erdrich, qui apparaît en filigrane dans la fiction.

Tookie adore son métier et les contacts qu’il lui procure, mais après le décès d’une cliente, elle se sent hantée par l’esprit de cette femme. La divagation s’étend et alimente des débats sans fin avec son mari et ses collègues. De très longs passages, où s’entremêlent lyrisme et surnaturel, mais que mon cartésianisme occidental un peu hermétique au symbolisme amérindien aura eu du mal à supporter.

Je me suis senti plus accroché par la deuxième moitié du livre, où Tookie et ses proches se trouvent confrontés à deux événements dramatiques survenus en 2020.

En mai, la mort à Minneapolis de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier, déclenche une série de manifestations, d’émeutes et de destructions urbaines. Tookie et cie sont bouleversés par le meurtre perpétré et par les dégâts commis, tout en en commentant les circonstances avec un certain fatalisme. Voilà qui donne matière à réflexion.

Survient aussi la pandémie de la Covid, les inquiétudes initiales, les interrogations sur la contagion, les rumeurs vraies ou fausses, la recherche désespérée de masques réglementaires. Je ne sais pas si tu te reconnaîtras, lectrice, lecteur, mais tu reconnaîtras sûrement des proches ; rétrospectivement, c’est plutôt drôle. Moins drôles sont les hospitalisations d’urgence en détresse respiratoire, les longs séjours en soins intensifs sous oxygène, et le martyr des proches, privés d’informations fiables et d’autorisation de visites. Peut-être en avais-tu souffert. On n’évoquera pas les issues plus graves.

La richesse narrative de Louise Erdrich et la poésie de son écriture sont très agréables à lire, mais les trop nombreuses pages consacrées aux états d’âme et aux fantômes de Tookie ne m’ont pas fait vibrer, pas plus que son érudition littéraire. D’ailleurs, j’ai lu bien peu de livres de sa bibliothèque idéale.

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Qui après nous vivrez, de Hervé Le Corre

Publié le 20 Février 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2024, 

Figure reconnue de la littérature policière française, Hervé Le Corre a été primé à maintes reprises pour ses romans. Leurs intrigues se nouent généralement au cœur de faits divers tragiques, survenant dans des univers sociaux de misère et de souffrance, inspirés de la réalité sociale ou historique. Des rapports de force particulièrement violents et sordides exposent des personnages faibles et fragiles à d’autres, puissants et malveillants.

Qui après nous vivrez n’est pas un polar, c’est une dystopie, un roman d’anticipation pessimiste, dans lequel l’auteur a imaginé un monde auquel il apporte ses codes habituels de noirceur, de terreur, d’horreur, de mort, tout en s’inspirant des pires prédictions survivalistes d’effondrement de la civilisation.

En 2050, tout saute. Plus d’électricité et donc plus d’éclairage, plus d’appareils, plus de réseaux, plus d’industrie ! Une mégapanne ? Bon ! C’est déjà arrivé, on attend que ça reparte… Mais là, ça ne repart pas. Ça tombe mal, quand le quotidien est déjà plombé par les pénuries, les épidémies, les incendies, les guerres de gangs, sous un soleil brûlant alternant avec des pluies glacées.

Fin de la civilisation technologique, telle que nous la connaissons. Retour progressif à des conditions de vie pratique qui ressemblent à celles du Moyen-Age. Ce saut en arrière s’accompagne en parallèle d’une perte de sens de l’humain et de la société, au profit de luttes individuelles ou en clans pour survivre, tous les coups étant permis. Retour en même temps, et peut-être encore plus rapidement, à une certaine forme de bestialité, qui réinstalle l’homme dans son rôle de domination, de prédation et d’asservissement de la femme.

Les chapitres du livre entremêlent — dans un désordre auquel il faut s’habituer — les aventures traversées entre les années 2050 et 2120 par un lignage de quatre personnages féminins, Rébecca, Alice, Nour et Clara. Elles se transmettent, de mère en fille, la volonté de survivre jour après jour. Au fil des générations, leurs environnements sont de plus en plus hostiles. Mais l’espèce humaine a du ressort et s’efforce de s’adapter. Ce qui compte, c’est le lendemain. Pour après, on verra ! Parfois se présente ce qui ressemble à un havre de paix, où l’on peut se poser quelque temps. Il faudra toutefois repartir. L’humanité retrouve des habitudes de nomadisme. On se remet en route, en quête d’on ne sait trop quoi.

Comment en est-on arrivé là ? s’interrogent les personnages. L’auteur a des convictions politiques claires : ce sont les riches et les puissants qui ont mené le monde à la catastrophe. Il faut bien désigner des coupables, même si l’auteur déclare aussi que cela faisait des décennies que chacun était prévenu et pensait pouvoir s’adapter.

 L’on peut à bon droit être impressionné par le travail d’imagination et d’écriture déployé pour décrire, avec autant de détails, la nature qui retourne à l’état primaire et les ruines de ce que furent des maisons, des quartiers, des villes. Des visions cauchemardesques, entrecoupées de scènes insoutenables de brutalités, de meurtres, de guerres, de viols. Un texte d’une poésie macabre et fangeuse, qui rappelle qu’Hervé Le Corre révère Lautréamont.

L’auteur sait mettre en tension sa narration, y introduire du suspens. On s’attache à Rébecca, à Alice, à Nour et à Clara, qui, en dépit des agressions et des sévices, placent l’amour au-dessus de tout. Quel destin l’auteur leur a-t-il réservé ?

Les sentiments humains n’ont pas tous disparu. Dans les moments d’espoir ou de désespoir apparaissent des gestes d’entraide, de solidarité. Quelques épisodes sont très émouvants. L’amour maternel pourrait-il sauver l’espèce ? Un éclair réconfortant dans une lecture plutôt démoralisante.

Une lecture en même temps éprouvante, car d’un chapitre à l’autre, il n’est pas facile de saisir dans quelle génération l’auteur nous invite. Cela donne par moment l’impression de relire des descriptions et des péripéties déjà entrevues.

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Et c'est ainsi que nous vivrons, de Douglas Kennedy

Publié le 20 Février 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2024, 

Douglas Kennedy est un homme de lettres éclectique et expérimenté. C’est aussi un observateur critique de la société américaine, tellement critique qu’il ne compte pas que des admirateurs outre-Atlantique. Ne mâchant jamais ses mots lorsqu’il s’exprime sur Donald Trump et sur la frange la plus conservatrice du Parti républicain, il n’épargne pas non plus l’emprise des GAFAM, les abus de la finance et les absurdités de la cancel culture.

Ecrire un roman est, selon lui, une excellente méthode pour philosopher sur l’évolution du monde. Concevoir une fiction est l’occasion d’y insérer ses analyses, ses réflexions, ainsi que ses inquiétudes ou ses fantasmes, afin de les partager. En l’occurrence, il observe avec lucidité la société américaine se fissurer entre deux extrémismes, l’un traditionaliste et populiste, l’autre progressiste et figé dans les codes de bien-pensance qu’il a édictés.

A partir de là, pas difficile de se projeter dans un futur à vingt ans. La fissure est devenue fracture. Dans Et c’est ainsi que nous vivrons, les Etats-Unis n’existent plus. Une sécession a eu lieu, à l’initiative des Etats des côtes Est et Ouest, sous l’impulsion de leurs « élites » et d’un multi-milliardaire de la « tech ».  La République unie (RU) est née. Les autres Etats, ceux de l’Amérique profonde, au centre du pays, que l’on appelle les Etats fly-over parce que les « élites » ne font que les survoler – fly over est le titre original du livre –, se sont constitués en Confédération unie (CU).

Cette dernière est devenue une théocratie absolue, administrée par douze Apôtres. Bigoterie, puritanisme et valeurs chrétiennes intégristes sont à l’honneur. La condition des femmes a fait un bon d’un siècle en arrière. Les relations sexuelles hors mariage, l’avortement et le blasphème sont punis de mort. De son côté, la RU a réussi à conjuguer objectifs financiers, écologiques et technologiques, tout en garantissant une totale liberté des mœurs. L’enjeu suppose une adhésion sans réserve aux valeurs nationales. Pour éviter toute déviance, toute velléité d’opposition, les citoyens sont équipés d’une puce qui surveille leurs actes et leurs propos.

De chaque côté, la justice est expéditive ; pas de temps à perdre, peu importent les doutes, les pertes collatérales… Que choisir, entre le totalitarisme de Big Brother et la dictature de l’Inquisition ?

Depuis la sécession, RU et CU sont des ennemies irréductibles. Les haines entre leurs ressortissants sont implacables, comme si leur Histoire commune n’avait jamais existé. C’est la guerre, une guerre qui n’a rien avoir avec la guerre de Sécession du XIXe siècle. Les armes sont technologiques. Les champs de bataille sont l’espionnage, le sabotage, l’assassinat ciblé par drone. Une zone neutre, située dans le Minnesota, permet toutefois quelques échanges… mais aussi des fuites et des infiltrations.

Pour l’auteur, il fallait que l’ouvrage soit un roman, un thriller, même. Il a donc concocté un scénario comportant, comme il se doit, suspense, meurtres, trahisons, etc. Il a imaginé le personnage de l’agent Samantha Stengel, au service secret de la RU. Sa mission, qu’elle a acceptée, est de s’infiltrer en CU afin de neutraliser une ennemie… qui n’est pas n’importe qui.

DK a de l’imagination à revendre et la plume facile. Mais je n’ai pas accroché aux intrigues, qu’une prolifération de détails tire en longueur. Je n’ai pas été sensible aux rebondissements de situations à répétition. En surfant sur de possibles technologies numériques de demain et leur intelligence artificielle, on rend crédible n’importe quelle mascarade.

Enfin, malgré ses doutes, ses états d’âme et sa grande maîtrise de soi, l’agent Stengel ne m’a pas inspiré d’empathie ; je n’ai donc pas tremblé ni vibré pour elle.

Reste la description très intéressante et convaincante de ce qui pourrait attendre les Américains, en poussant à l’extrême les tendances des clivages actuels. Sans oublier que les mêmes menaces existent en France et en Europe.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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